Rav Kook : La mission d'israël, perfectionner les autres religions

Publié le par Arié

En lisant- en anglais- un recueil de lettres envoyées par Rav Abraham Isaak Kook, je suis tombé sur une lettre qu'il écrivit en 1908, alors qu'il était Rav de Yaffo, dans le nouvel Yishuv, à un de ses amis restés en Lithuanie, Rabbi Pinhas Hakohen, Av Beth Din de la ville de Birz.


Il évoque son intention de créer une Yeshiva où l'on apprendrait aussi bien le Talmud que la Cabbale , ce qui représente une révolution dans l'univers fort conservateur des Yéshivot lithuaniennes de l'époque. Ce sera le Merkaz Harav.


Dans sa lettre, Rav Kook répond à une question que lui pose son ami sur les rapports que doit entretenir le Judaïsme avec les autres religions. Sa vision est simplement révolutionnaire pour l'époque et le demeure encore aujourd'hui . Je cite : "La vocation de la lumière qui émane d'Israël n'est pas d'absorber ou de détruire les autres religions, comme il n'est pas de la vocation d'Israël de détruire les autres nationalités. Notre objectif consiste plutôt à les parfaire (to perfect them), à les élever et à les purger de leurs impuretés.(purge them from their dross). Alors elles se joindront automatiquement à la racine d'Israël, qui exercera sur elles une influence éclairante. Comme il est écrit dans Zacharie 9:7 "J'enléverai le sang de sa bouche et et les abominations d'entre ses dents et il restera ainsi pour notre Dieu"". Ceci s'applique aussi pour les cultes idolâtres, et à fortiori, pour les cultes qui sont basées sur la Torah d'Israël".


Une des missions qui incomberaient au Judaïsme, selon Rav Kook, serait donc d'aider les deux autres religions monothéistes à se débarrasser de la gangue qui les entoure et les pervertit. Il s'agit d'une vision étonnante, dans la mesure où on peut légitimement se demander si c'est bien la vocation des juifs que de permettre à l'Islam et au Catholicisme de s'épurer de leurs scories pour revenir à leur source, qui est la Torah. Cet enseignement, venant d'une personnalité telle que celle du Rav, mérite néanmoins qu'on s'y attarde et qu'on y réfléchisse.


A priori, on aurait tendance à penser: qu'ils se débrouillent, ce ne sont pas nos oignons, ni notre cup of tee, et puis franchement, quelle chance aurais-je d'être écouté et entendu par un catholique fondamentaliste ou un musulman radical, si je venais à lui dire : "vous avez presque tout faux, faudrait voir à enlever la gangue qui entoure votre religion, telle que vous la pratiquez aujourd'hui ".


Et puis, à la réflexion, si je me rapporte à nos Textes, je suis bien obligé de reconnaître que la mission du peuple juif réside dans le TIKOUN OLAM, autrement dit dans la réparation du monde; ainsi qu'il est marqué dans la prière qui clôt toutes les prières: ALEINOU. Il y est marqué: lètakken olam bèmalkhout Shaddaï réparer le monde dans le Royaume du Tout-puissant Réparer -parfaire-perfectionner un monde, par définition hautement perfectible, avec pour finalité la reconnaissance de la Seule Royauté.


Cette notion de TIKOUN, largement développée dans la cabbale lourianique, est généralement comprise comme la nécessité pour les juifs d'accomplir des mitsvot, sachant que chaque mitsva contribue peu ou prou à réparer le monde. Le Judaïsme progressiste l' interprète dans un sens plus restrictif, comme une invitation à oeuvrer pour d'avantage de justice sociale.

Dans tous les cas de figure, on ne voit pas là une invitation à se mêler de la religion des autres, avec, pour objectif, la prise de conscience des pratiquants, des emprunts à la Torah d'Israël.


En observant plus attentivement le christianisme, on constate une évolution lente, mais positive, dans sa reconnaissance de la dette qu'il a envers le judaïsme et les juifs et d'une certaine humanisation de leur messie qui perd peu à peu son caractère divin. On peut par contre se demander si, pour ce qui est du deuxième point, Dan Brown, avec le Da Vinci Code, n'a pas exercé plus d'influence que tous les rabbins réunis. Il n'empêche que le dialogue, encore impossible il y a quelques décennies, s'installe, et que les chrétiens manifestent un intêret croissant pour ce qu'ils intitulent "nos origines communes". Y-a du progrès !


On ne peut pas en dire autant de l'islam, qui suit une démarche inverse en s'éloignant chaque jour d'avantage des "origines communes". On est passé d'une phase d'occultation à un pur déni. Toutes les passerelles  tissées entre le judaïsme et l'Islam  pendant des siècles, tant par les musulmans que par les juifs, ont été coupées. Les emprunts de l'Islam à la Torah n'auraient jamais existé. "Un jour se leva un Pharaon qui n'avait jamais entendu parler de Joseph" (voir mon article précédent). De l'amnésie pure et simple. Bon nombre de jeunes musulmans considèrent d'ailleurs qu'aucune religion n'a existé avant l'Islam.


Alors que faire face à ce Négationnisme d'un nouveau genre, ou plus spécifiquement, que doivent faire les juifs pour réparer - létakén – cet désordre des choses ?


D'abord, me semble t-il, mieux connaître les religions autres que la notre. En regardant de plus près l'Islam des origines, ou tout simplement l'Islam non dénaturé et instrumentalisé à des fins politiques, celui ci prônait essentiellement la bonté, l'entraide entre les hommes, le secours aux défavorisés. Le Tsédék en quelque sorte. Mahomet se tournait vers Jérusalem pour prier, et c'est devant le refus des juifs de son époque à le reconnaître comme Prophète qu'il changea son fusil d'épaule, dans tous les sens du terme. L'influence des sages juifs de son époque dans l'élaboration du Coran est indiscutable. Les Musulmans, soient l'ignorent soit ont décidé de l'occulter. Or il serait souhaitable que les érudits juifs, rabbins ou chercheurs spécialisés dans les origines juives de l'Islam réparent ces oublis et le fassent largement savoir.


Cela suppose aussi de ne pas considérer que le Tikoun Olam passe uniquement par l'adéquation entre ce qui est demandé aux juifs dans la Torah (en termes de mitsvot ) et son accomplissement , mais aussi par un regard autour de soi, vers le vaste monde, l'Olam, et se sentir concerné par son amélioration. Quand L'Etat d'Israël, avec ses moyens limités, est le premier à se porter au secours de Régions sinistrées ou qu'il manifeste simplement de la compassion devant la misère de l'Olam, c'est un pas vers le Tikoun. Il me semble que chacun de nous, à son niveau, devrait agir de même, en considerant qu'il y va de sa responsabilité. Cette démarche n'est pas une démarche ponctuelle mais permanente, dans la mesure où, si Olam signifie monde ou univers, Léolam introduit la notion du temps. L'hébreu n'a pas attendu les physiciens contemporains pour lier le temps à l'espace.


La démarche unique de Rav Kook, dans le concert des rabbanim de son époque, et bien après, qui reconnaissait que l'arrivée de juifs non pratiquants sur la terre de leurs ancetres, était un signe de At'halata Déguéoula, le début de la Délivrance, et qui toute sa vie, a jeté des passerelles entre les courants opposés et entre la cabbale et la Halakha, va me semble t-il dans ce sens.


Cent ans ont passé depuis la rédaction de cette lettre. Certains centenaires que l'on fête à grands renforts de feux d'artifice, sont moins importants que celui là.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article