Jean Ferrat et la rafle du Vel d'Hiv

Publié le par Arié

Je n’irai pas voir le film sur la Rafle du Vel d’Hiv; pour moi il vient trop tard et il a le goût d’une soupe qui a trop chauffé à petit feu et qui sent le rance. Qu’il ait une certaine utilité dans l’éducation des jeunes générations, selon l’expression consacrée, je veux bien en convenir; allez donc le voir et surtout, surtout, imprégnez vous des paroles de certaines chansons de Jean Ferrat, « Nuit et brouillard » notamment


Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers

Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent

Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
en regardant au loin, en regardant dehors

Votre chair était tendre à leurs chiens policiers


Avec Jean Ferrat c’est une époque qui meurt; celle où des Juifs ont cru au Parti communiste. Le jeune Tenenbaum qui prendra le nom de guerre et de chanson de Jean Ferrat (le Cap Ferrat était beau avant que chaque baraque vaille son pesant de dizaines de millions d’Euros) a perdu son père, Mnacha Tenenbaum, à Auschwitz, « nus, maigres, tremblants dans ces wagons plombés » et a bien connu « la lune (qui) se taisait comme vous vous taisiez, en regardant au loin, en regardant dehors ». Alors, la rafle du Vel d’Hiv, vous pensez bien qu’il n’avait pas besoin d’aller au cinoche pour la vivre dans sa chair.

Ceux « qui regardaient au loin , qui regardaient dehors » comme un certain directeur de l’ORTF de son époque ont poursuivi l’œuvre de désinformation en boycottant la chanson « Nuit et Brouillard ». Grand bien leur fasse.

J’ai le sentiment que pour Jean Ferrat, et pour bien d’autres, dieu est mort à Auschwitz en même temps que son père et ces « vingt et cent ». Ayant été recueilli et sauvé par les Communistes, qui, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, ont été le fer de lance de la Résistance en France, il a été leur compagnon de route toute sa vie, sans adhérer au Parti.

J’ai personnellement connu jadis des fils de gazés et des fils de Résistants juifs qui s’étaient battus avec les communistes dans le Massif du Vercors; Ils ont été marqués à vie. Certains comme Jean Ferrat Tenenbaum ont choisi la fidélité au Parti en France; d’autres sont partis dans les années 50 et 60 dans les Kibboutzim en Israël. L’aventure communautaire de la fraternité – pas celle de Mitterand-Bousquet , ni celle de Martine Aubry – leur a semblé la seule possible après la Shoah. Certains ont déchanté, d’autres se sont accrochés. En Israël, le mouvement kibboutsnik a permis de faire décoller l’Etat d’Israël. En France, Jean Ferrat, par son engagement, son anticonformisme et son talent, a permis à beaucoup de continuer à croire en l’Homme.

C’était l’époque où les Juifs ashkénazes, venus de Russie ou de Pologne, étaient souvent des petites gens; la mère de Tennenbaum était ouvrière dans une usine de fleurs, et son père, un petit artisan; alors vous pensez bien que Jean Ferrat, le monde ouvrier, il connaissait bien, et le bling-bling c’était pas trop son truc


Ma môme, elle joue pas les starlettes
Elle met pas des lunettes
De soleil
Elle pose pas pour les magazines
Elle travaille en usine
À Créteil.


Les usines de Créteil ont disparu, Jean Ferrat aussi, le Kibboutz a vécu, pour certains, dieu est mort à Auschwitz, et pourtant:


que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article